«Mes barrieres a Paris, symboles de la separation d’une nouvelle gauche et des classes populaires»

«Mes barrieres a Paris, symboles de la separation d’une nouvelle gauche et des classes populaires»

Les mediologues

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Vous savez a quoi ressemblent nos barrieres metalliques installees par la police pour encadrer les manifs ? Desormais, ce seront les gens de gauche que les font mettre en place, observe une mediologue, Jean-Yves Chevalier. Voici le angle d’approche.

J’habite pourtant un delicieux eleve. Je ne me deplace qu’a velo (pas, a vrai dire, par amour pour nos « mobilites douces » mais parce que les bus n’avancent plus). Je dechiffre consciencieusement la lettre paroissiale que m’envoie la mairie d’arrondissement. J’ai d’ailleurs de la peine. « Une fin d’annee solidaire Afin de tout te s », me recommande-t-on, en titre. J’acquiesce, evidemment, mais le « t » a la fin de « tout » me pose des problemes.

D’autant que, via ailleurs, on m’annonce la refection d’une place de maniere a la rendre plus « attractive concernant tou te s les usager e s ». Ce n’est pas que je prefere la refection d’une place a une fin d’annee solidaire, mais je comprends mieux le « tou te s » d’la seconde formulation puisque je peux y lire toutes et l’ensemble de. Y aurait-il des fautes d’orthographe inclusive ?

En attendant la refection des places, les elus parisiens s’adonnent donc a la refection d’une langue, et je comprends que c’est pour eux une lourde tache. Personnellement, les bribes de grammaire que j’ai acquises dans une ecole alors populaire du meme quartier, depuis tri?s longtemps il est bon, m’empechent d’apprecier comme il conviendrait cette ?uvre d’importance. Une remediation est vraisemblablement necessaire et peut-etre viendra le temps d’un stage de reeducation supprimer hot or not ou on m’apprendra a me deprendre des formes anciennes d’une langue coupable, pourtant inscrites dans des livres ayant eclaire mes ri?ves.

Laideur consensuelle

Notre redaction en prose municipale doit etre, dans ces conditions, une occupation a plein temps libre qui contraint nos elus a laisser tomber en jachere des initiatives originales un moment mises en avant. Ainsi du debarquement, au premier confinement du printemps 2020, de barrieres – arrimees entre elles et fixees au sol – destinees a empecher le stationnement automobile, dans la petite rue Brezin, proche d’une mairie du XIVe arrondissement. Vous savez, des barrieres metalliques installees par la police pour encadrer nos manifs. Un vrai marqueur de gauche, ces barrieres, sauf que, auparavant, ce n’etaient jamais les gens de gauche que des faisaient mettre en place.

Une pancarte accrochee a une barriere indique au passant que tout ceci est fait Afin de son beaucoup : « Pietons, naviguez ici plus sans crainte ». C’est quelque peu difficile a croire, puisqu’on ne va gui?re descendre du trottoir Afin de y remonter des metres plus loin. Ou alors Cela reste prevu de marcher une jambe sur la chaussee, l’autre dans le trottoir, penche comme sur un voilier, c’est peut-etre la raison de l’emploi du terme « naviguez ». Surtout, des barrieres empechent de traverser un magasin (certes en dehors des passages cloutes mais on est en France) sauf a beneficier des quelques bateaux – entrees charretieres, dit-on parfois joliment – qui ne sont malheureusement nullement situes de facon symetrique dans l’impasse. Un vrai mur de Berlin entre nos numeros pairs et nos impairs, deux cotes d’la rue devenus etrangers.

Appuyees i  propos des barrieres ont ete installes des bacs, a mi-hauteur, avec certains plantes vertes et courageuses. Dix-huit mois plus tard, l’ensemble reste forcement la. Rien n’a bouge. Telle une troupe qui fait une sortie puis regagne son campement, les ediles n’ont apparemment plus donne signe de life. Notre terrain fut abandonne, comme apres un sinistre, si l’on laisse bien en l’etat en attendant l’expert de l’assurance. Quelques barrieres ont ete descellees de la chaussee et ont retrouve leur liberte, des plantes ont survecu, opiniatres et malingres. Mes commercants de la rue seront sans nouvelles et un patience suscite l’admiration generale. La laideur de l’ensemble fera consensus, mais on ne va nullement se formaliser pour si peu.

Qui crois a toutes les livreurs ?

Si peu ? J’accorde qu’il y a a Paris et ailleurs des problemes plus graves. L’amenagement des rues est du ressort en municipalite, des riverains seront des electeurs, ils recoltent votre qu’ils ont elu. Cela n’est pourtant inutile d’etre semiologue Afin de comprendre que les petites trucs pourront avoir du sens et seront plus revelatrices qu’il n’y parait. Revelatrices, ici, d’une obsession, l’« amenagement de l’espace » et d’un aveuglement a ceux qui y travaillent. Puisqu’il convient de s’interesser aux principales « victimes » de votre amenagement sauvage. Ce ne semblent gui?re les riverains, nos habitants du quartier, des promeneurs.

Les « victimes » n’habitent pas Paris et n’y votent gui?re. Ce sont d’abord les livreurs, contraints de s’arreter sur les fameux bateaux desfois un peu eloignes de l’adresse de livraison Afin de ensuite revenir deposer des colis eventuellement lourds. Cela n’y a plus pour eux l’option de stationner au milieu de la rue (quitte a se faire houspiller), etant donne qu’il faudrait alors passer au-dessus des barrieres et le 110 metres haies n’a pas ete couru a toutes les Jeux olympiques avec des paquets dans les bras. C’est bon, nos livreurs, on n’y pense nullement. Les eboueurs, on n’y crois gui?re non plus. Eux doivent contourner les barrieres, se saisir des poubelles, des trainer via le trottoir, tomber sur un passage et revenir au camion pour nos y deverser.

Sens des priorites

Pas i  fond ? Regarde qui tu oublies, je te dirai qui tu es. Les militants de l’ancien monde ne savaient gui?re que la langue etait fasciste mais ils connaissaient la penibilite de travaux qu’ils avaient quelquefois eux-memes effectues. Ils s’attachaient a defendre ceux qui exercaient des metiers difficiles, ils ne un pourrissaient pas le quotidien, ils n’etaient pas Afin de eux la gauche cauchemar. Les barrieres d’la rue Brezin sont les symboles une separation d’la nouvelle gauche et des classes populaires qui se traduit en miserables pourcentages que promettent les intentions de vote.

Des gens de gauche, vraiment, qui, hantes par la noble mission qui est la leur (sauver la metropole, la planete, effacer partout les traces de cela leur est insupportable) ignorent a votre point notre vie de ceux a qui ils imposent des consequences de leurs decisions ? La fumee des camions, qui les effraie, un cache les conducteurs des camions qui n’ont jamais reclame qu’on deconstruise la langue mais qu’on respecte un article.